Derrière les réalisations de Shaïma, décoratrice sur verre, transparaît un engagement artistique à la fois discret et déterminé. Une dimension habituellement absente des pièces décoratives. À la lumière de cette matière qu’elle ramasse ici et là pour créer d’élégantes pièces de verre, Shaïma dit ce que d’autres femmes, prisonnières dans leur société, ne peuvent exprimer.
À partir des cuissons de bris de cristal colorés glanés aux sorties d’usines dans l’Est de la France et de verre à vitre lui aussi récupéré (car tous ces matériaux sont extrêmement coûteux), la décoratrice donne naissance à des verres de lampes, vasques et autres pièces originales.
Se jouant des frontières entre l’art et l’artisanat, conséquence d’une formation à deux visages (un cycle à l’École des Beaux-Arts de Caen suivie d’une formation-vitrail couplée d’une solide formation dans le verre au sein d’un centre européen de recherche et de formation), la jeune femme, tout juste 30 ans, fait parler ce qu’elle ressent au plus profond d’elle. “Femme et Islam d’aujourd’hui est un thème qui m’affecte et nous affecte tous. La disparité entre hommes et femmes, fondée sur la mise en tutelle, corps et âmes du deuxième sexe, traverse encore les classes sociales, les religions, les territoires, les continents. Mais certaines réalités sont infiniment plus vicieuses qu’on ne l’aurait imaginé. Informer, s’engager, combattre”.
Ses deux années de vie au Koweït, où elle a passé son bac littéraire, l’ont mise sur la voie. “Un soir, je suis passée devant une maison où j’ai cru voir des vitraux. Il ne s’agissait en fait que de journaux posés en vrac sur les vitres”. Une première fascination pour la matière, un premier pas vers le travail du verre.
Mais ce point de départ quasi-poétique, teinté de voyage et d’Orient, a mené Shaïma sur des sentiers bien plus engagés qu’il n’y paraît. Les rapports sociaux, les héritages culturels et religieux sont inscrits dans les murs des demeures traditionnelles des contrées arabes et maghrébines. C’est là-bas que l’artiste-artisane puise l’idée de réaliser un moucharabieh (réal. en 2005, projet de fin d’étude). Cette cloison de bois est ajourée et le plus souvent joliment sculptée pour susciter l’admiration du visiteur. “C’est très beau mais le moucharabieh traduit une emprise de l’homme sur la femme. (...) La femme, placée derrière, a pour seule liberté de regarder la vie extérieure depuis l’ombre, traduisant un certain voyeurisme”. Afin d’habiller sa réalisation d’une dimension “onirique”, la décoratrice abandonne logiquement le bois pour le verre. Au final, cette cloison associe des compartiments de verre extrablanc percés d’étoiles et de formes géométriques (découpées au jet d’eau) et de la frite de verre fusionnée puis sablée à l’aspect plus nuageux. La structure porteuse de l’ensemble, elle, est en métal. Elle est le fruit d’une collaboration avec Arno Grellet, ferronnier d’Art. Leur première pièce conséquente travaillée ensemble.
Jouant sur les degrés de transparence et d’opacité, la jeune femme évolue dans un univers de mises en lumière subtilement dosées. Mais dans une vasque comportant une boule de verre placé en son centre, objet tout simplement curieux au premier coup d’œil, la jeune artiste exprime sa révolte de pratiques ancestrales telles que l’infibulation. Sans titre, cette pièce est décorative, la vérité dévoilée, elle prend tout son sens. “Informer, s’engager, combattre”.
Adresse email pour contacter l’ artiste : glasshay@hotmail.fr
Son parcours :
1977 : Naissance à Talence (33)
1994-1996 : Elle vit deux ans au Koweït où elle passe un bac littéraire.
1998-2001 : Diplôme National d’Arts plastiques à l’école des Beaux-Arts de Caen.
2001-2002 : Formation vitrail au Greta de Chartres.
2002-2003 : Elle enseigne l’esthétique appliquée à Creil (60).
2003-2005 : À l’issue de deux années de formation au centre européen de recherche et de formation, elle décroche le titre de Compagnon verrier européen.
Expositions : 3ème Biennale du verre contemporain (Issoire 2006) ; Hôtel du département (Strasbourg 2006)