A DEUX PIEDS DANS LES ARTS.
Michelle Brière, artiste franco-américaine installée en Normandie, sculpte le rire plutôt que les larmes. Il suffit de mettre un pied dans son atelier pour comprendre qu’ici la morosité n’a pas droit de cité. Rencontre.
Pourquoi ne pas réaliser une colline de carottes râpées monumentale pour un parc public ?”. Quand il s’agit d’exprimer ses rêves et ses projets, Michelle Brière, contourne sa timidité et finit par mettre les deux pieds dans le plat. Jusqu’à surprendre. La jeune artiste franco-américaine a tendance à fuir “l’art sérieux” lui préférant l’expression de visions sarcastiques et détendues. “J’aime ce qui donne envie de rire”. Tout simplement.`
De la knacki…
La nourriture et ses vestiges, emblèmes d’une société bien portante, grignotent son esprit créatif et s’invitent régulièrement dans ses sculptures : une colonie de champignons de plâtre sortis de terre parmi les fougères du bois du Biez (Né dans le Béton, Mondeville,14, 2005), deux paires de jambes enfermées dans une boîte à sardine, un pied droit (le sien) posé sur une demi-plaquette de beurre… Serait-ce l’empreinte de son expérience de colleuse d’étiquettes de produits bio devenue manager de 25 employées dans un magasin à San Francisco ? “Je recrée les objets d’usage quotidien avec l’aide d’éléments du corps humain. Mes pièces sont des fragments, de telle sorte que le spectateur doit retrouver les parties manquantes et rétablir les ensembles. Dans un espace ouvert, les lieux comme les parties du corps s’éprouvent par leurs manques”.
La mangeuse de knackis conquise à la bouffe sans OGM, diplômée en Arts Plastiques (spécialité sculpture et imprimerie), cherche encore et toujours la surprise que déclenchent les saveurs inconnues. Lasse des 45 heures de travail hebdomadaire et pas vraiment emballée par les exhibitions à la petite semaine entre Chicago et Portland... “J’étais très confortablement installée certes mais bien trop pour être créative”. Michelle renonce en 2003 à ce que le reste du monde appelle le rêve américain et décide de suivre son époux, Stéphane, photographe autodidacte exilé depuis 18 ans de sa Normandie natale. La simplicité, la culture, le goût des artichauts ont attisé la curiosité de Michelle jusqu’à son débarquement à Caen.
... à l’artichaut
Des rêves plein la tête et de la spontanéité à revendre, pas toujours facile de trouver sa place dans cette petite cité de province, il est vrai charmante mais “un peu conservatrice” (d’autres auraient dit “bien trop”). Il faut du temps pour
dérider le Normand… Après quelques mois, un appel à artistes de l’Arpac (Association régionale pour la promotion de l’art contemporain) lui sourit. C’est l’occasion d’une première expo à la salle du Sépulcre (Caen, 2004). “Une femme s’est montrée très perturbée par la vision de ce bras perché sur un bloc. Ce fut le réveil d’un souvenir douloureux de la seconde guerre mondiale”. Peu importe l’intention de l’artiste, plus portée vers le rire et la surprise que vers l’engagement. “Le pire pour une exposition c’est que les œuvres que tu découvres ne te disent rien”. Un premier pas pour Michelle avide de rencontres et d’échanges qu’elle considère comme les ingrédients irremplaçables de son inspiration. La jeune femme guidée par son refus du cloisonnement et son désir de communication s’exprime logiquement à travers la démarche du land-art. Après l’intimité et la solennité de l’église, ses sculptures gagnent ainsi au gré des opportunités les bois, jardins de particuliers et les plages (œuvre éphémère sur le thème de la paix sur l’une des plages du débarquement, juin 2006). Et la montagne de carottes râpées c’est pour Caen ?
► ELLE AIME : Jeanne-Claude et Christo (Land art, USA), Brancusi (sculpteur, Roumanie), Banksy (graphiste, GB)
► Pour en voir plus : http://www.hoboville.com